Mutisme sélectif chez un enfant

Enfant atteint de mutisme soudain, dû au décès d'un être cher

 

 

Le mutisme sélectif est un phénomène difficile à gérer. Que faire si soudain quelqu’un qui parlait normalement devient muet ?

Au cours de ma carrière d’enseignante, j’ai eu en classe de 6° un élève, Joseph, qui était en traitement pour mutisme sélectif. Comment agir face à quelqu’un qui ne parle plus ? Je vous livre ici mon témoignage 

Généralités : définition et causes du mutisme sélectif

Dans la plupart des cas, on parle de mutisme sélectif lorsque la personne atteinte par ce trouble parle dans certaines situations, mais présente une incapacité à parler dans d’autres situations. Il s’agit, de toute façon, de l’expression d’un mal-être. Les causes peuvent en être très variées.

L’expression d’un mal-être

Souvent, le mutisme se manifeste dans une situation que la personne vit comme très négative. On l’appelle mutisme sélectif car en général, ce sont des conditions différentes de celles vécues dans le cercle ordinaire, en famille par exemple. Cela peut se manifester à la crèche, à l’école, dans toute situation différente de la situation habituelle.

Causes variées

Lorsque survient cette perte de parole, il est très difficile d’en cerner les causes. On peut cependant supposer que dans la situation particulière où le problème se pose, la personne qui garde le silence est très mal à l’aise. Ce mal-être peut provenir d’une peur, d’un manque de confiance, d’une anxiété. Des facteurs environnementaux différents peuvent aussi aggraver le problème : un déménagement, la séparation des parents, un changement d’école, un décès subit…

Résistance dans le temps

Malheureusement, lorsque survient cette incapacité de s’exprimer, souvent, le problème dure. En général, le mutisme sélectif dure au minimum deux ans. Peu à peu une progression se met en place, mais la guérison totale peut n’intervenir qu’après plusieurs années.

On sait cependant que ce n’est pas un refus, mais une impossibilité. La personne reste muette, parce qu’elle ne parvient pas à parler. Mais elle n’a aucune déficience intellectuelle.

Contexte et manifestations du mutisme (sélectif) chez le petit Jo

Mon témoignage portera, d’une part, sur les faits dans la famille m’a fait part, et qui concerne sa situation dans le cadre familial et d’autre part, sur les faits que j’ai pu constater pendant la classe.

Facteur déclenchant du mutisme sélectif de Jo

À l’âge de six ans, il a été confronté à la disparition subite de sa maman alors qu’il vivait avec elle, dans la maison contiguë à celle de son grand-père paternel.

Comme sa maman était malade, on l’a envoyé jouer chez des voisins. Il en a beaucoup profité, mais à son retour, elle n’était plus là.

Ce fut pour lui un deuxième choc émotionnel, car il était déjà orphelin de père. Dans ce cas précis, il avait donc une relation très proche avec sa mère.

On peut considérer que le traumatisme dû à la disparition de sa mère a été le facteur déclenchant de son mutisme sélectif. On peut considérer aussi qu’il avait déjà eu un traumatisme psychologique à la mort de son père, alors qu’il avait trois ans et demi et était en plein dans la période d’acquisition du langage.

On ne peut pas évaluer quelle a été la part de ce premier traumatisme dans son incapacité de parler.

Le tout premier symptôme de son mutisme sélectif

En tout cas, Jo ne parlait plus : ça a été le premier symptôme, la première réaction au traumatisme qu’il avait subi : il devait s’adapter à une nouvelle vie sans sa mère.

Le mutisme a été total et immédiat. On ne peut donc pas vraiment parler de mutisme sélectif, il n’y avait aucune sélection, aucune situation particulière dans laquelle il parlait.

En plus de cette absence totale de parole, l’enfant s’était complètement fermé, ne regardait plus que ses pieds, ne souriait jamais, ne laissait voir que la tristesse sur son visage, aucune autre expression. La situation était devenue très déstabilisante pour toutes les personnes qui l’entouraient.

Son attitude en classe de sixième

On peut supposer que sa scolarité à l’école primaire s’était déroulée pour lui dans le silence le plus total. En effet, il est rentré au CP au moment où son traumatisme venait de se produire. On peut donc imaginer que son attitude en classe de CP était identique à celle que la famille m’avait décrite concernant la vie à la maison.

Toutes ses fonctions étant normales, il ne semble pas avoir eu de difficultés particulières dans l’acquisition de la lecture, si ce n’est qu’il a dû redoubler le CP, puisque la lecture orale ne se faisait pas et que les instituteurs ne pouvaient pas évaluer sa capacité à lire. À la fin de cette deuxième année de CP, cependant, il a été admis en CE1. J’ignore comment se sont passées les autres années de classe primaire.

Quand il est arrivé au collège, il avait presque vaincu son mutisme. À la maison, en tout cas, il communiquait avec sa famille.

Mais, au bout de trois semaines en classe de 6ème, il n’avait pas levé une fois la tête, je n’avais vu que le dessus de son crâne. Quand il rentrait, il allait s’installer à sa place, faisait le moins de bruit possible, ne levait jamais la tête, évitait tous les regards et, bien sûr, ne participait jamais.

En plus, dans l’incompréhension, le voyant toujours fermé, silencieux et mal à l’aise, ses camarades  se moquèrent vite de lui. Bien sûr, j’ai immédiatement agi pour faire cesser ces moqueries qui ne pouvaient qu’empirer son état

Réactions de l’entourage face à cet enfant qui ne parlait plus

Elles ont été multiples et échelonnées dans le temps.

Quelle réaction face à ce mutisme soudain

La famille savait que l’enfant parlait normalement auparavant. On n’a donc pas pensé à un mutisme, mais à un refus. On a cru qu’il choisissait de ne pas parler. Au début, on lui a dit de parler, on l’a harcelé.

Cet acharnement n’a servi à rien, on n’obtenait aucune évolution lorsqu’on lui disait de parler. Au contraire, les choses empiraient. On a donc pensé qu’il était atteint d’aphasie (perte totale ou partielle, due à une lésion cérébrale, de la capacité de parler ou de comprendre le langage parlé ou écrit) et qu’il ne parlerait plus jamais.

On trouvait surprenant qu’il ait une lésion au cerveau, car on voyait bien que l’enfant comprenait et faisait correctement ce qu’on lui demandait. À part la parole et le fait qu’il était complètement introverti et triste, tout était normal, comme auparavant.

On a assimilé cette perte de langage à une timidité extrême ou même à une phobie de quelque chose. Et on a décidé d’attendre que ça passe. (Les cas où ce problème se règle spontanément sont très rares, mais existent). À ce moment-là, on n’a absolument pas pensé qu’il était important de consulter.

Interprétation du mutisme comme un refus de parler

Comme on restait persuadé que l’on était face à un refus total de parler, on a fini par se mettre en colère. On lui a dit qu’il exagérait, qu’il le faisait exprès, que c’était un choix, un entêtement, une volonté d’ennuyer tout le monde, mais rien n’a changé.

La colère n’a pas eu plus d’effet que l’incitation à parler. Devant un tel mutisme (sélectif), on peut imaginer que la famille était complètement déroutée. Le temps passait, mais personne ne pensait qu’il s’agissait d’un problème grave. Au contraire, on a abandonné l’idée de le faire parler, on s’en est accommodé. Par la suite, on a même accepté ses lubies comme par exemple suivre un chemin spécifique qu’il avait défini.

Consultation d’un psychologue

Mais, parallèlement, l’enfant ne s’alimentait pas correctement et avait des problèmes d’énurésie (qui n’existaient pas avant le choc émotionnel).

Cela faisait maintenant plus d’un an que sa maman était décédée, treize mois exactement. Comme aucun changement ne se produisait, on a pensé que le petit Jo souffrait de psychose grave (maladie mentale comme la paranoïa ou la schizophrénie) et on a fini par prendre la décision de consulter un psychologue.

Amélioration progressive de la situation

Le petit Jo a été pris en charge par un service de psychiatrie. Je n’ai pas su ce qu’avait été le traitement exactement. Je sais qu’on a fait intervenir l’entourage et qu’il y a eu un traitement pharmacologique. Dans la douceur et sans faire culpabiliser la famille, le spécialiste leur a expliqué comment il aurait été mieux de réagir.

  • Ne pas banaliser la situation.
  • Ne pas se dire que c’est de la timidité, c’est beaucoup plus handicapant, beaucoup plus traumatisant.
  • Ne pas se moquer, surtout.
  • Ne pas imposer, ne pas obliger à parler, ni brutaliser.
  • Faire preuve de patience et de respect.
  • Mettre la personne en confiance.
  • Bien dire à la personne qu’on souhaite l’aider
  • Ne pas demander à un enfant d’être poli : « s’il te plaît, merci… »
  • Exposer l’enfant (la personne) à des situations qui le rassurent, des situations agréables, en groupe : famille, amis…
  • intégrer la personne dans les activités en groupe, en lui demandant de faire des choses pour lesquelles il n’y a pas besoin de parler, par exemple.
  • Jouer avec l’enfant (parents, fratrie) sans le faire parler, ce qui contribue à briser l’anxiété.
  • Penser à féliciter chaque petite réussite.
  • Préparer l’enfant à toute modification (déménagement, changement d’école…

Toute situation où la personne parviendra à se détendre aura un effet positif et contribuera à la remettre à l’aise et à mettre toutes les chances de son côté pour qu’elle parvienne à s’exprimer de nouveau le jour.

La vie de Jo après la prise en charge psychiatrique

Dans le cas de cet enfant, n’y avait pas d’autres troubles importants du développement. Le problème de mutisme sélectif était apparu alors qu’il avait six ans, suite à un choc émotionnel grave.

La famille avait craint alors qu’il ait ensuite un trouble de la personnalité. Elle avait pensé un temps à un problème relationnel et comportemental important.

Mais en fait, le mutisme sélectif était apparu en réaction au décès de sa maman. On peut supposer que c’est la raison pour laquelle le mutisme avait été total. C’était la situation familiale qui était en cause : l’incapacité à produire des sons n’avait pas été déclenchée en début de scolarité par exemple, ce qui aurait probablement conduit à un mutisme dans le cadre scolaire seulement et non pas dans le cadre familial.

Peu à peu, Jo avait accepté son trouble. On lui avait expliqué exactement ce qui s’était passé : la maladie, puis les circonstances de la mort de sa maman, on l’avait emmené au cimetière. Peu à peu, avec les visites chez le psychiatre et le traitement médicamenteux, il avait enrichi le champ du non verbal. Alors qu’au début le contact visuel était impossible, il était revenu : des échanges de regards avaient eu lieu, des signes de tête, des désignations d’objets. Parallèlement à la disparition des problèmes de maigreur et d’énurésie, ses attitudes s’étaient améliorées. Peu à peu le sourire était apparu, montrant que l’angoisse avait laissé place à l’inquiétude, pus à la confiance.

Conclusion concernant l’évolution du mutisme de Jo, à l’époque

J’ai connu cet enfant en 1979. Je suppose que la prise en charge d’un mutisme sélectif à l’heure actuelle est peut-être encore plus performante.

En tout cas, devant ce genre de situation, il ne faut pas se décourager. Essayer de mettre en place une grande bienveillance pour que toutes les chances soient du côté de l’enfant. Il faut savoir cependant que le problème peut durer entre deux et douze ans.

Quand j’ai eu Jo dans ma classe de 6°, il était en phase de reconstruction. Il ne parlait pas du tout encore dans la classe, mais en famille cela commençait. La prise de confiance est revenue peu à peu.

Je ne l’ai pas eu dans ma classe par la suite, mais dans le collège, en 3°, il avait l’air d’un garçon normal, il avait beaucoup évolué. Il prenait la parole très rarement, comme tout enfant timide, mais si on l’interrogeait, on obtenait une réponse. D’autre part, il avait réussi à constituer un petit groupe de deux ou trois camarades.

 

En tout cas, il communiquait avec les autres, et mes collègues m’ont dit qu’il prenait même de temps en temps la parole pour participer à la classe.

Si on est proche de quelqu’un atteint de mutisme sélectif, il faut donc garder espoir. Agir pour remettre la personne sur la voie de la voix !

 

Vous pouvez trouver un exemple de mutisme sélectif chez un enfant dans mon roman Un cri dans les Roseaux, inspiré d’une histoire vraie.

Ce livre raconte l’évolution d’un garçon atteint d’un mutisme soudain, à l’âge de six ans, suite à un choc émotionnel

Un cri dans les roseaux, un roman sur le deuil

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